L’Afrique n’est pas prête pour des unions monétaires
Or, le commerce intra-africain représente moins de 15% du commerce régional. Au contraire, lorsque l’euro a été adopté en 1999, le commerce intra-européen représentait déjà environ 60% du commerce extérieur en France et en Allemagne.
Les dirigeants politiques en Afrique et France ont déclaré que l’une de leurs principales motivations de la création de la zone eco est de favoriser l’intégration économique. C’est prendre les choses à l’envers : des pays n’adoptent pas une monnaie commune parce que le niveau des échanges entre eux est faible, mais parce qu’ils échangent déjà les uns avec les autres à un tel point qu’ils peuvent réduire considérablement leurs coûts de transaction en éliminant le risque de change. Une deuxième lacune majeure est la divergence de structure industrielle parmi les membres de la zone eco, ce qui signifie qu’ils réagissent aux chocs extérieurs, tels que les variations des prix des matières premières, de manière contradictoire. Alors que certains pays de la zone CFA actuelle (Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon et Guinée équatoriale) sont des exportateurs de pétrole et bénéficient de hausses du prix du pétrole, d’autres (République centrafricaine, Niger, Mali et Burkina Faso) sont des importateurs de pétrole et souffriraient. Lorsque les membres des unions monétaires font face à de tels chocs asymétriques, l’architecture institutionnelle devient déséquilibrée et instable. Troisièmement, en dépit de nombreux traités et accords, la libre circulation des biens et des personnes à travers les frontières nationales – une condition essentielle pour une union monétaire qui fonctionne bien – est fortement limitée dans la zone CFA actuelle. Cette « mobilité des facteurs » est la meilleure garantie contre les chocs externes, parce que les gens peuvent migrer librement à travers les frontières pour tirer parti des possibilités d’emploi. Dans la zone euro, par exemple, la libre circulation de la main-d’œuvre permet aux travailleurs grecs de travailler à Berlin ou à Paris. En revanche, un travailleur camerounais qui veut émigrer au Gabon voisin a peu de chance d’obtenir un permis de travail – et même s’il y parvenait, ils se heurterait à l’hostilité ouverte, voire violente, des travailleurs locaux aigris par des années de chômage. Enfin, il n’y a pas de politique budgétaire commune dans la zone franc CFA et aucun mécanisme d’application crédible pour empêcher le surendettement des Etats membres individuels ou gérer collectivement la dette souveraine. En outre, une plus grande intégration des systèmes bancaires et financiers nationaux serait nécessaire pour faciliter le suivi, la surveillance et le confinement des risques de contagion financière posés par l’interdépendance. Or, le bilan de l’Afrique en termes de renforcement des institutions, en particulier pour la supervision de questions sensibles de gouvernance impliquant des États souverains, est mauvais. Même lorsque des règles sont adoptées et existent sur le papier, le manque de moyens de surveillance et d’application crédibles impliquent qu’elles en restent là. Les pays de la SADC et CAE ne respectent pas non plus les critères des zones monétaires optimales avec un bon fonctionnement des finances publiques et des systèmes bancaires transnationales. Les dirigeants politiques africains considèrent les unions monétaires comme un tremplin vers l’unité politique du continent. Mais une politique monétaire commune ne suffit pas pour atteindre un tel objectif. Aucune stratégie d’intégration régionale ne peut survivre à, encore moins surmonter, la pauvreté généralisée et les tensions sociales. Le développement économique est une condition préalable à des sociétés stables. Une stratégie monétaire plus appropriée pour les pays africains serait de redessiner le projet d’intégration monétaire de l’Afrique et de le mettre en œuvre en cercles concentriques, avec des petits groupes de pays qui ont des structures de production similaires et une mobilité des facteurs, ainsi que des politiques fiscales et bancaires transnationales crédibles. Une monnaie commune arrimée à un panier de devises ou avec un régime de change flexible permettrait d’assurer la compétitivité extérieure et davantage de bénéfices économiques. Une autre option est de suivre les voies des anciens membres de la zone franc CFA comme le Maroc, la Tunisie et le Vietnam (Indochine). En récupérant le contrôle national sur la politique monétaire, ils ont pu assurer leur compétitivité extérieure, connecter leurs industries à des chaînes de valeur mondiales et tirer parti des avantages du commerce mondial. Une union monétaire qui fonctionne bien exige des institutions financières et des règles supranationales qui peuvent être appliquées pour aider les membres à répondre aux chocs asymétriques. La libre circulation des biens et du travail devrait être une réalité, pas un but. Les politiques des déficits et de la dette devraient être uniformes dans l’union monétaire et être contrôlées par une autorité centrale crédible. Et les secteurs financier et bancaire devraient être sous surveillance attentive par une institution à l’échelle de l’union capable d’appliquer des règles prudentielles strictes. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la zone eco proposée en Afrique de l’Ouest sera une entreprise compliquée, risquée et potentiellement douloureuse pour toutes les parties concernées.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
ABIDJAN – Les dirigeants politiques de l’Afrique occidentale ont récemment annoncé que le franc CFA – une monnaie créée par la France en 1945 pour ses colonies et encore utilisée par 14 pays africains – sera remplacé cette année par une nouvelle monnaie arrimée à l’euro et appelée l’eco. Pourtant, les leçons de la propre expérience de la zone franc CFA ainsi que de la zone euro suscitent de sérieux doutes quant à la capacité de la région à relever les défis que cette nouvelle union monétaire apportera.